Prisonniers politiques

Le procès en appel des militants du parti d’opposition burundaise MSD (photo ici du lundi 27 octobre 2014) se tient dans la prison de Bujumbura. © Esdras Ndikumana

 » Sans l’autorité d’un seul, il y aurait toujours la lumière, il y aurait la vérité, il y aurait la justice. L’autorité d’un seul, c’est un crime », Louise Michel, femme  politique française (1830 – 1905).

 Des entraves au fonctionnement de justice burundaise.

A réfléchir  sur les entraves  du  bon fonctionnement de la justice au Burundi, plusieurs disfonctionnements constituent un bloc à une bonne administration de la justice. Entre autres questionnements, l’indépendance de la magistrature et la politisation de cette institution.

  En effet, tout  Etat qui se réclame de droit et fondé sur un système démocratique, doit respecter  certains principes fondamentaux entre  autres, la séparation des pouvoirs, l’égalité devant la loi, le procès équitable…

La séparation des pouvoirs qui est un principal axiome de l’indépendance de la magistrature, comment se porte- t-elle au Burundi?

*     Le principe de séparation des pouvoirs.

La séparation des pouvoirs est un » principe politique selon lequel les fonctions des institutions publiques sont divisées entre le pouvoir législatif qui fait les lois, l’exécutif qui les met en œuvre et les fait appliquer et le pouvoir judiciaire qui les interprète et les fait respecter ». Ces pouvoirs se complètent  et sont efficaces si chacun est exercé en toute indépendance.

La concentration de ces trois pouvoirs dans une seule main a toujours été une évidence au Burundi (nomination des juges, possibilité de légiférer), mais aujourd’hui avec le gouvernement de facto, l’huile a été jetée sur le feu pour l’amplifier et le résultat est désastreux. Le juge burundais passe carrément à coté de son serment et s’adonne à des pratiques immondes et scandaleuses vis-à-vis des justiciables. Il utilise deux instruments à sa portée, la corruption et l’intolérance politique, en violation flagrante des principes sacro-saints d’impartialité et de neutralité.

  Pourtant la constitution burundaise du 18 mars 2005,  cette loi fondamentale et charpente d’un Etat de droit, est claire comme l’eau de roche. Elle désigne nettement les trois pouvoirs de l’Etat et les dispositions de cette loi mère,  sujette  aujourd’hui à des tentatives  de modification égoïste, distingue  les trois institutions de la République : le pouvoir exécutif (art.92-146) ;  le pouvoir législatif (art.147-204) et le pouvoir judiciaire (art.205-236).

  Ce grand principe de séparation des pouvoirs est vieux comme le monde. Il a été énoncé par le philosophe anglais John Locke (1632-1704)  et plus tard par Montesquieu (1689-1755). Ce n’est pas gratuit que ces grands philosophes avaient eu cet esprit clair de dissocier les trois institutions et ce n’est pas au pouvoir de Bujumbura de dire le contraire. Car parmi les causes de leur départ au maquis, ils invoquaient entre autres l’absence d’une justice indépendante.

*    Le fondement légal de l’indépendance de la magistrature .

 » Un vrai système judiciaire, respectueux des droits de l’homme doit pouvoir offrir la garantie d’un jugement impartial rendu par un juge indépendant, au terme d’un procès équitable ».  Selon les principes fondamentaux des Nations Unies relatifs à l’indépendance de la magistrature », les magistrats règlent les affaires dont ils sont saisis impartialement, d’après les faits et conformément à la loi, sans restrictions et sans être l’objet d’influences, incitations, pressions, menaces ou interventions indues, directes ou indirectes, de la part de qui que ce soit ou pour quelque raison que ce soit.

Au Burundi, l’indépendance de la magistrature est loin d’être une réalité, les magistrats se sont transformés en hommes politiques qui roulent pour le pouvoir qui les a nommés et ils se montrent trop dévoués dans la partialité pour satisfaire leur maître.

Par contre, les textes de loi nationaux (constitution) et internationaux ratifiés par  le Burundi et qui font partie intégrante de la constitution garantissent indéniablement une impartialité à ces hommes de loi.

La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH), en son art.10), dispose que toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

Et la constitution du pays dont ils jurent fidélité,  ajoute en son article 209 que le pouvoir judiciaire est impartial et indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Dans l’exercice de ses fonctions, le juge n’est soumis qu’à la constitution et à la loi, c’est à dire que normalement il n’a pas de compte à rendre au pouvoir en place.

Malgré l’esprit clair du législateur, l’indépendance des magistrats ne sera jamais une chose espérée tant que leur nomination est gérée par un pouvoir  exécutif qui manipule ce corps pour des fins subjectives.  Les magistrats des juridictions supérieures sont nommés par décret du Président de la République et ceux des tribunaux de résidence par ordonnance du Ministre de la Justice », (Art. 214 constitution).  Mais aussi, « toute nomination aux fonctions judiciaires visées à l’article 188,9 ; excepté à la Cour constitutionnelle, est faite par le Président de la République sur proposition du Ministre ayant la justice dans ses attributions, après avis du Conseil Supérieur de la Magistrature et confirmation par le Sénat » (Art.215)

Certains magistrats braves, qui essaient d’obéir à la loi  plutôt qu’au Roi, sont intimidés par  des mutations, des menaces de mort et d’emprisonnement  proférées  par le pouvoir et craignent pour leur sécurité familiale et financière.

*     De la particularité des détenus membres du MSD.

Des centaines de personnes, parmi eux beaucoup de jeunes gens, et des  mineurs aussi,  ont été broyées par la machine du pouvoir en place depuis Avril 2015, pour un seul motif : « Avoir commis un sacrilège de s’opposer au mandat vénéré ». Beaucoup de gens ont péri, des membres des partis d’opposition, de curieux passagers  qui n’ont ni manifesté, ni mené d’activité politique. Tous ont pourtant vu leur vie basculer dans la souffrance. « Ils nous ont  allongés sur le sol, nous ont ligotés et nous ont demandé de choisir la manière dont nous voulions être tués : au couteau ou à la barre de fer »[1], raconte une rescapée.

   L’APRODH a recensé dans un rapport récemment publié 504 personnes tuées et 373 autres blessées durant l’année écoulée. « Des personnes ont été tuées et d’autres blessées dans des attaques armées (…) . Les victimes sont des membres des partis politiques de l’opposition, surtout l’aile d’Agathon Rwasa des Forces nationales de libération (FNL) et le Mouvement pour la Solidarité et la Démocratie (MSD), des militaires et policiers des ex-Forces armées burundaises (FAB) ainsi que toutes les autres personnes soupçonnées d’être opposées au régime du président Pierre Nkurunziza, poursuit toujours ce rapport.

En effet, avant même la déclaration de ce fameux mandat qui a ouvert la boîte de pandore, les membres du parti MSD ont toujours subi un châtiment particulier. De la phase pré-juridictionnelle au jugement au fond de leur dossier, les membres de ce parti, n’ont jamais bénéficié d’un procès équitable, la partialité des juges, l’inertie du Ministère public, le non accès aux dossiers par les avocats des détenus  sont des vices qui ont toujours caractérisés le déroulement de la procédure.

  L’exemple le plus flagrant est l’arrestation de dizaines de membres de ce parti lors des manifestations pacifiques du 8 Mars 2014, les avocats ont été surpris de voir comment les IMURIKIRAKURI et INZIRABUGUNGE étaient accusés en masse en violation du principe de l’individualité des peines en matière pénale .Toute sorte d’infraction était à leur charge: rébellion, outrages,violences envers les dépositaires de l’autorité ou de la force publique…, et comme si cela ne suffisait pas le substitut du procureur ajoutait lui même des qualifications pénales en dehors du code pénal pour aggraver la situation et chercher à tout prix l’implication du Président de ce Parti. Voilà l’exemple d’une qualification pénale à l’encontre des prévenus:  » Participation à un mouvement insurrectionnel dirigé par Alexis SINDUHIJE ».

    Toute une coalition contre les membres du MSD, des docteurs médecins des hôpitaux connus, comme ceux du Clinique  Prince Louis RWAGASORE,  n’ont pas manqué aussi d’entrer dans la danse politique. Ils s’amusaient à signer des billets de sortie pour leurs patients membres du MSD.   L’exemple de l’horreur a été celui de Rogier MUHIZI qui se déplaçait dans une chaise roulante et incapable de s’expliquer devant le substitut du procureur, mais dont un chirurgien en concert avec le Directeur de l’hôpital, attestaient qu’il était en parfait état de santé. Les avocats ont porté plainte contre ces docteurs pour attaquer leur responsabilité médicale jusqu’à maintenant, aucune suite n’a été réservée  à ces médecins qui ont dévié à leur déontologie.

  De surcroît, pour éviter des procès publics pour ces membres du MSD et en violation de la loi,  certaines audiences ont été organisées à la prison centrale de MPIMBA, extraordinairement, c’est le palais de justice qui se déplaçait vers MPIMBA pour une simulation de procès alors que l’ordinaire prévoit le contraire.

Cela reflète la peur que le pouvoir  a toujours manifestée contre ce grand Parti d’opposition. Même la mesure prise au mois de janvier 2017 par la grâce présidentielle de libérer 2500 prisonniers politiques, au moins sept membres du MSD restent détenus alors qu’ils sont concernés par cette mesure. Cela vient témoigner une aversion particulière qu’a toujours subie les membres de ce mouvement: les priver de toute liberté d’expression et de mouvement de peur que toute la population se range derrière le programme noble de ce Parti.

  Nul n’ignore que depuis la recherche de son agrément jusqu’aujourd’hui ce Parti a été toujours  été malmené. Des  mesures de suspensions abusives ont toujours été prises.  Ce n’est pas pour rien que  les détracteurs de la liberté politique se comportent ainsi, ils savent très bien que si demain l’environnement favorable tel qu’énoncé par ce parti dans sa feuille de route voit le jour, les burundais seront  prêts d’en découdre définitivement avec ce  pouvoir de facto .Les IMVUGAKURI sont prêts pour battre  à plate couture via les urnes le CNDD-FDD qui pourtant, chante partout qu’il est le seul espoir des burundais. Si cela était le cas pourquoi cette peur bleue du pouvoir en place d’entrer dans la compétition avec d’autres formations politiques?

Me Amédée Nzobarinda

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[1] Article publié par le HCDH, en date du 9 septembre 2017.