Burundi: culte et culture, un rendez-vous manqué !

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Les crises récurrentes qui s’abattent sur le Burundi depuis son indépendance ont mis à mal la crédibilité de toutes les institutions du pays – Eglise catholique comprise, puisque cette dernière est longtemps restée spectatrice des crimes de masse, assumant sa résignation au point d’inviter les fidèles à accepter de se faire tuer en silence. Après un répit de dix ans, consécutif à l’Accord d’Arusha de 2002, appliqué en 2005, le pays a replongé dans la crise et renoué avec ses anciens démons. Les cadavres sont jetés dans les fosses communes, les droits humains foulés aux pieds, sans que l’Eglise ne prenne un quelconque rôle de guide moral.

Or, les hommes et les femmes qui se battent contre le totalitarisme dans leur pays partagent la même religion. Pourquoi cette culture de la mort est-elle érigée en empire au Burundi, alors que l’Eglise catholique prêche la vie? A quel point les valeurs catholiques ont-elles imprégné la société au regard des pratiques, traditions, croyances et la culture du Burundi ? L’Eglise peut-elle encore transformer les hommes politiques en serviteurs – à l’image de Jésus, qui est venu pour servir et non être servi ?

Selon l’abbé congolais André Kabasele, l’Afrique et le christianisme ont connu l’aventure de la rencontre. En ont-ils profité pour l’épanouissement de leur projet fondamental ? Selon l’abbé Kabasele, le christianisme a été une chance pour l’Afrique, tout comme l’Afrique est aujourd’hui une chance pour le christianisme. Cette chance, dit-il, ne peut être réelle qu’à deux conditions: « Il faut d’une part que le christianisme honore les aspects des cultures africaines porteurs de foi. Et d’autre part, que l’Afrique s’approprie un christianisme dépouillé de son habillage eurocentrique.»

Au Burundi, la croyance traditionnelle en un Dieu unique (Imana) a étonné même les missionnaires catholiques. En principe, la symbiose est possible entre la tradition et le catholicisme. Dans la pratique, elle n’a pas eu lieu. La foi intégrée à une culture imprègne les modes de pensée et des comportements qui n’impliquent pas forcément d’aller à la messe le dimanche, comme on le voit en France. Dans ce pays, les fidèles ne vont plus à l’église, mais vivent avec le christianisme dans leur quotidien et leurs références culturelles.

L’entreprise coloniale de « civilisation » par le christianisme s’est opérée avec des méthodes peu soucieuses des pratiques et coutumes endogènes de l’époque, qui se portent encore très bien après deux siècles d’évangélisation.

Etienne le Roy, dans son ouvrage sur Les Africains et l’institution de la Justice (Entre mimétisme et métissage), écrit : « Cette situation de dédoublement et de débordement existe depuis les origines de l’introduction du modèle occidental et étatique de la justice dans le contexte colonial. Elle était tenue pour temporaire et transitoire, donc acceptable selon les critères de l’époque. Les concepteurs de politiques pensaient en effet au début du XXe siècle que la vertu de la Justice « vraie » devait l’emporter au nom des principes de civilisation puis par l’effet d’entraînement des politiques de développement ». Bien que ne traitant pas une question de religion, cet ouvrage se penche sur un système de justice importé et imposé qui ne fonctionne pas sur le continent.

Le dédoublement a produit au Burundi une société ambivalente, avec des chrétiens le dimanche et des animistes qui peuvent devenir des criminels les jours ouvrables. La classe politique pratique le double langage, la double croyance, la double pratique… Tout et son contraire cohabitent en elle. Les hommes et les femmes en politique ne sont pas dans une logique de sauver – intérêt général, long terme – mais de se sauver – intérêt particulier, court terme. Une certaine désorientation culturelle est à l’origine de ce gâchis.  Le pays a besoin d’une voie. Et donc d’une foi salvatrice, productrice d’une culture unique pour un avenir commun.

L’Eglise au Burundi doit revoir sa copie, pour redéfinir une nouvelle culture qui tienne compte des normes socioculturelles du pays.

Transformer les politiques en serviteurs

Beaucoup peuvent penser que ce serait possible par la prière, alors qu’il faut plutôt toute l’audace et le tact des hommes d’Eglise pour y parvenir.

L’Eglise burundaise devrait sortir de son silence, vécu comme complice et une forme d’abandon par les fidèles. Déjà, dans un discours pour une tout autre occasion le Pape Benoît XVI regrettait « l’absence notable dans la politique […] de voix et d’initiatives de la part de dirigeants catholiques à forte personnalité et au dévouement généreux, qui soient cohérents avec leurs convictions éthiques et religieuses ».

Il n’est pas normal que dans un pays en majorité catholique, les responsables religieux limitent leur rôle à la seule administration du culte le dimanche. Les chrétiens sont assiégés par des problèmes de pauvreté, de corruption, d’injustice, souvent massacrés en masse par des dirigeants du pays. La réaction se limite à la publication de la lettre pastorale. L’Eglise doit prendre ses responsabilités pour attaquer ces problèmes à la racine – politique.

Pour ce faire, l’église doit engager un débat à la fois intellectuel et politique approfondi. L’objectif ? Créer les pensées politiques éclipsées par des idéologies identitaires meurtrières. Aussi, l’intégration de la théologie dans la pensée politique serait évidemment une nécessité. Parce que cela constitue la clé pour l’intellectualisation de la politique ce qui manque encore gravement au Burundi.

Dans son message aux catholiques exerçant des responsabilités politiques réunis à Bogota, le Pape François égrène les grands défis, parmi lesquels la montée du populisme. “Nous devons tendre vers des démocraties adultes, participatives, préservées des blessures de la corruption, de la colonisation idéologique, des prétentions autocratiques et de la démagogie à bon marché.” Forts de cette invitation du Pape François qui nous interpelle tous, les responsables de l’Eglise du Burundi doivent prendre les devants pour une paternité d’esprit et d’action de la classe politique.

Pour y parvenir quatre grands axes sont à explorer:

  1. Travail de recherche vers les pays qui ont essayé la symbiose de la théologie et la politique, pour analyser leurs réussites et leurs échecs. L’exemple de l’Allemagne vaut la peine d’être exploré.
  2. Choisir des penseurs au sein de l’Eglise et dans les milieux laïcs pour permettre un débat entre intellectuels sur les différentes pensées politiques à formuler pour l’avenir au Burundi.
  3. Travail d’analyse de la classe politique dans son ensemble en identifiant ceux qui s’intéressent plus à construction d’une démocratie et d’un Etat de droit dans le long terme. Tout en ne négligeant pas ceux qui veulent le pouvoir rapidement aussi car ils sont aussi utiles. Engager un dialogue approfondi avec eux s’avère nécessaire, sans les heurter, en vue d’imprégner des idées, de l’éthique et des valeurs en politique. C’est un travail difficile qui nécessite un temps, une stratégie et évidemment une bonne communication.
  4. Une fois tout défini, compris et formulé, il faut une bonne diffusion dans la société. Et les vecteurs de diffusion sont l’enseignement, les medias, l’Eglise elle-même, la société civile sans oublier les artistes. Il faut bien évidemment une stratégie de diffusion pour le long terme, s’étendant sur des générations.

Le travail de la civilisation par l’évangélisation est aujourd’hui un échec. Les missionnaires qui y croyaient se mettraient une corde au coup s’ils faisaient aujourd’hui l’inventaire des fruits de leur travail. Leur produit est un homme nouveau certes mais qui n’est ni catholique ni païen. Des catholiques de culte mais pas de culture. Les dirigeants de l’Eglise burundaise doivent encore construire un catholicisme qui accepte les coutumes du pays. Ce travail nécessite un engagement politique de leur part pour inspirer à la fois la pensée et l’éthique en politique. Cette note ne vise pas à décharger les politiques pour surcharger les hommes d’église. Mais plutôt de les sortir de leur léthargie pour qu’enfin ils jouent leur rôle.

 

Par  Alexis Sinduhije | Président du MSD


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