L’avenir se lit dans les yeux de la jeunesse

Des réalités complexes peuvent parfois s’appréhender facilement, si on adopte l’angle pertinent. Pour connaître l’avenir d’un pays, il suffit d’analyser les politiques mises en place pour préparer l’avenir de sa jeunesse. C’est-à-dire la génération dont viendront celles et ceux qui, demain, seront aux commandes de l’Etat en tant que gestionnaires des affaires publiques. Armer la jeunesse des valeurs humanistes, des compétences scientifiques et technologiques à la hauteur des enjeux de son temps, c’est sécuriser l’avenir. Cela devrait être la préoccupation majeure de tout dirigeant politique soucieux d’une paix durable dans son pays.

De l’importance politique de la jeunesse.

La jeunesse est la catégorie la plus active et la plus idéaliste de la société. Anticonformiste, elle a tendance à croire spontanément à tous les possibles. Tout acteur politique sérieux sait qu’il ne peut accéder au pouvoir sans son appui. La jeunesse fut présente dans tous les bouleversements de l’humanité. Sans son engagement, l’esclavage, le fascisme, le colonialisme, l’apartheid n’auraient pas été vaincus. Aucune révolution digne de ce nom ne s’est accomplie au cours de l’histoire, sans le concours de la jeunesse. Mais si beaucoup de jeunes furent du côté des nobles causes qui permirent à l’humanité d’accomplir des pas de géant, tous les jeunes ne furent pas de ce bon côté de l’histoire. Nous ne pouvons pas oublier que c’est au sein d’une jeunesse pauvre et manipulée, que les régimes totalitaires trouvèrent de grands soutiens. La jeunesse déscolarisée, sans travail, marginalisée, humiliée, fut et reste la proie facile de tous les fascismes. Elle fut et continue à être pourvoyeuse des bataillons de la haine de l’autre, dans beaucoup de pays en crise. Les acteurs du génocide contre les tutsi au Rwanda en 1994, se sont appuyés sur une frange de la jeunesse désœuvrée, les « interahamwe ». La dictature identitaire au Burundi utilise aujourd’hui la milice des jeunes du parti au pouvoir, les «  imbonerakure », pour diviser les citoyens et éliminer toute voix discordante. Les organisations extrémistes qui sèment la mort dans l’Est de la RDC, s’appuient depuis des années sur une jeunesse économiquement et intellectuellement démunie. Les islamistes radicaux somaliens, El Shebbab, ainsi que ceux de Boko Haram au Nigéria, recrutent leurs adeptes et futurs commandos kamikazes, au sein d’une jeunesse pauvre, désorientée donc facile à endoctriner. C’est souvent dans des zones géographiques où les indices de développement humain sont au rouge, que s’implantent facilement les mouvements identitaires radicaux. Ce n’est pas un hasard si, en 1948, les pères de la Déclaration universelle des droits de l’homme, ont souligné la nécessité pour chaque être humain d’accéder au travail, aux soins médicaux, à l’éducation, au logement et à la culture. L’histoire nous apprend que la pauvreté et l’ignorance sont les terreaux de la violence politique extrême. Mais au-delà de l’impératif de justice et de stabilité nationale, aujourd’hui, la simple réalité démographique rend la réflexion sur le devenir de la jeunesse Africaine, d’une urgence absolue. Sur une population qui dépasse désormais le milliard, 43% des citoyens Africains sont des jeunes de moins de 20 ans. Sur 75 millions de jeunes de 18 à 24 au chômage dans le monde, 38 millions sont en Afrique. On peut donc se demander légitimement, si l’Afrique a les moyens de subvenir aux besoins de sa jeunesse. 

Des richesses fabuleuses

La première richesse d’un pays est le capital humain. C’est-à-dire l’ensemble des talents, des qualifications, des aptitudes, des expériences accumulées sans oublier la volonté de l’élite politique au pouvoir d’agir pour le bien commun. Depuis plus d’un demi-siècle d’indépendance, le contient Africain a formé de nombreux cadres de haut niveau, dont une partie non-négligeable se trouve, hélas, en exil. La fuite des cerveaux représente un manque à gagner qui avoisine la dette extérieure du continent. Sans stabilité politique, sans un salaire qui permet de vivre dignement et une législation qui encourage l’entreprenariat, aucun pays au monde ne peut retenir durablement ses cadres les plus compétents. Les difficultés de développement de nombreux pays africains, ne sont plus à rechercher dans un manque de ressources humaines qualifiées mais beaucoup plus dans le mauvais usage du capital humain. Quand on ne sait pas où l’on va, on ne peut déterminer le moyen de transport nécessaire pour y aller. En d’autres termes, le problème de la précarité économique de la jeunesse africaine est en grande partie lié à l’absence de projet de développement sérieux. Car tout projet de développement cohérent s’accompagne d’un plan de formation massif en adéquation avec les objectifs poursuivis. Et une jeunesse formée trouve facilement du travail, et surtout, crée elle-même le travail. Dans tous les cas, là où existe une volonté politique, les compétences techniques absentes dans un secteur donné, se trouvent aisément à l’extérieur des frontières. Il convient également de rappeler que, contrairement à la première génération postcoloniale, aujourd’hui, tous les dirigeants Africains qui veulent développer leur pays, peuvent s’inspirer des exemples d’autres nations. Ils peuvent s’approprier les meilleures réussites dans le monde,  et les enrichir de leurs singularités nationales. En plus du fait démographique caractérisé par une population jeune, qui constitue un marché de consommateurs important, l’Afrique dispose de richesses naturelles sans équivalent. Aujourd’hui, environ 30% des réserves minérales dans le monde se trouvent en Afrique. 80% du Coltan, 90% du platine, 50% des diamants, 40 % de l’or se trouvent en terre Africaine. 11% de la production pétrolière mondiale vient aujourd’hui du sous-sol africain et devrait approcher les 15% dans une dizaine d’années. Un seul pays comme la Guinée, a dans son sous-sol l’équivalent de 30% de la bauxite mondiale. L’Afrique a aujourd’hui 800 millions d’hectares de terres fertiles non encore utilisées, et détient la deuxième plus grande forêt au monde après l’Amazonie. Véritable mosaïque des peuples et des cultures, l’Afrique a tout pour réussir le développement de sa jeunesse. Mais peut-on faire le bonheur des jeunes à leur place ? 

Maître de son destin

Le simple fait que plus d’un demi-siècle après les indépendances, une grande partie de la jeunesse Africaine reste pauvre et sans perspective, appelle au constat suivant : Nul ne fera le bonheur des jeunes à leur place. La jeunesse doit s’impliquer dans la politique. Elle ne doit jamais oublier que la liberté se conquiert par la lutte, que chaque espace de liberté dont jouit l’humanité a été conquis par l’action des femmes et des hommes qui nous ont précédés. La jeunesse Africaine doit résister contre toutes les formes de radicalismes identitaires. Elle doit revendiquer une Afrique libre, démocratique et sans exclusion. Elle doit conquérir le droit légitime de participer au parlement, et être au sein de l’exécutif dans chaque pays Africain. La jeunesse doit être sujet de son histoire, maître de son destin. De la politique, elle doit attendre la recherche du bonheur commun, et non la ruse pour exclure et dominer l’autre. Elle doit se souvenir en tout temps et tout lieu que l’héroïsme se mesure au nombre de vies sauvées et non au nombre de vies fauchées. En d’autres mots, la jeunesse Africaine doit militer pour la mise en place des politiques qui garantissent la sécurité physique et économique pour tous les citoyens, seule façon d’éviter à des millions d’êtres humains, de mourir d’une mort évitable. Ambitieuse pour la bonne cause, et implacable dans la lutte pour le bien commun, la jeunesse doit savoir vaincre sans humilier. La jeunesse Africaine doit allumer les brasiers de l’espérance dans les ghettos du renoncement, pour une Afrique de tous les humains.

Nestor BIDADANURE, Philosophe et écrivain


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