Accusations d’atteinte à « la sécurité intérieure de l’état » ? : un ancien prisonnier politique et membre du MSD témoigne

Je m’appelle Therence Ndayisenga, de nationalité burundaise. Je suis originaire de Gitega au centre du Burundi.

Avant d’arriver à Paris le 22/01/2017, je vivais à Bujumbura, capitale du Burundi où je faisais du commerce et détenais un Bar Restaurant.

En 2009, je suis entré en politique et j’ai intégré le parti MSD, porteur d’espoir pour beaucoup de Burundais.

J’exerçais mon métier ainsi que mes activités politiques comme bon nombre de citoyens Burundais.

Au sein du MSD, j’occupais le poste d’administrateur financier, ce fût en 2009, la 4ème position au niveau national après le Président, le Secrétaire Général et le coordonnateur du parti au niveau national.  Après les élections communales du 21/05/2010 reportées au 24/05/2010 puis contestées par les partis politiques d’opposition, le parti au pouvoir CNDD-FDD m’a approché pour me proposer de travailler avec eux, chose que j’avais catégoriquement refusé.

De par la position que j’occupais au sein du parti MSD, ils étaient surtout intéressés de connaître la provenance des ressources financières du parti MSD.

Le 26/06/2010, le Service National de Renseignement (SNR) m’a arrêté chez moi à Bujumbura avec comme chef d’accusation, « atteinte à la sûreté intérieure de l’état ». Puis,  j’ai été conduit dans les cachots du SNR sans ménagement. Le lendemain, j’ai été transféré au commissariat de la Police, en Province de Gitega.

Après, une semaine de garde à vue, j’ai été condamné à deux ans de prison ferme et j’ai purgé ma peine à Gitega.

Enfermé, j’ai vécu des situations très difficiles. Malade, j’ai été admis à l’hôpital Sainte Thérèse, accompagné par le commissaire Provincial Adjoint du nom de KUMIYANO avec un autre policier de garde. Après consultation, le Docteur allemand du Nom de Rainer faisait entendre que je devais subir une opération dans les plus brefs délais.

Quand le commissaire adjoint en a informé son chef, le commissaire provincial Eustache NTAGAHORAHO, ce dernier a refusé.

Après longue discussion avec le Docteur, il a enfin accepté que je sois hospitalisé en ordonnant à son adjoint d’augmenter l’effectif des gardiens pour que je ne m’évade pas..

Quelques jours après l’opération, avant d’être guéri et encore alité, le commissaire principal a donné l’ordre comme quoi je devais quitter l’hôpital et regagner la prison.

La raison avancée était que je voulais m’évader. J’ai regagné la prison avec pansements, …

Les défenseurs des droits de l’homme avaient dénoncé ma situation à travers les medias. Ils réclamaient mon retour à l’hôpital afin d’être bien soigné.

C’est seulement après quelques mois que le directeur m’a accordé la permission. A ce moment-là, le commissaire provincial a planifié mon enlèvement; il faut savoir qu’à cette époque, beaucoup de membres des partis de l’opposition ont subi ce sort, comme le démontre très bien les rapports de 2011 et 2012 des organisations de défense pour les droits de l’homme (Amnesty International, Human Right Watch,…)

Le 2éme jour au lit de l’hôpital, à une heure du matin, alors que j’étais avec mon épouse, le chef de poste de police de la commune Gitega s’est introduit dans ma chambre. On avait ouvert pensant que c’était l’infirmière de garde.

Le policier sans un mandat, a commencé la fouille perquisition dans la chambre d’hôpital. Il n’a rien trouvé. Par la suite, il a cherché à me persuader de sortir avec lui de la chambre, pour soi-disant, m’expliquer les raisons de son geste.

Par chance, je n’ai pas accepté. J’apprendrai plus tard que sa proposition de sortie signait ma mise à mort. Ils avaient prévu de me tirer dessus prétendant que je voulais m’évader.

Le lendemain, j’ai été obligé de regagner la prison malgré une nouvelle opération qui était prévue pour l’après-midi. J’ai expliqué au docteur que c’était devenu trop dangereux pour moi. Il n’a pas bien saisi au début et après il a compris que j’avais pris peur et que je me sentais menacé. Malgré la douleur due à la nouvelle opération du jour, j’ai regagné la prison.

Quelques jours après, le bruit courait en prison comme quoi j’étais rentré avec 3 fusils. Une fouille perquisition a été alors organisée au sein de la prison.

Très tôt le matin vers 3h, à l’aube, la prison était entourée par des policiers. Chose qui avait fortement révolté les prisonniers; les policiers ont tiré sur la foule blessant trois personnes. la fouille n’a pas eu lieu. L’objectif de cette opération était de me déstabiliser. Après avoir purgé ma peine, je suis sorti libre de prison pensant que c’était la fin de mon calvaire. Je voulais bien reprendre mes activités commerciales, je me croyais à l’abri à ce moment.

C’était le début d’un autre calvaire, cette fois-là, ils ont opéré différemment, m’appauvrir et me nuire par tous les moyens.

J’ai vu ainsi mon bailleur, décider du jour au lendemain de nous expulser de la maison après plus de 10 ans de bail, loyer et charges régulièrement payés.

Nous avons déménagé avec la famille  la veille de Noël, le 23/12/2012 vers Kabondo et quelques semaines après, mon ancien bailleur a donné la maison à une personne proche du parti au pouvoir et j’ai tout de suite compris.

Fragilisé, j’ai tout de même essayé de reprendre mes activités commerciales espérant cette fois, qu’on me laisserait tranquille..

Le 12/05/2013, des hommes armés en tenue policière ont attaqué mon nouveau domicile, heureusement personne n’a été tué, nos employés ont été malmenés et blessés à coup de crosses de fusils. Le lendemain, ils sont revenus et ont détruit mon bar restaurant dont l’activité reprenait de nouveau.

La situation politique du pays continuait à aller de plus en plus mal.

Le 08/03/2014, les membres des partis de l’opposition, dont ceux du MSD ont organisé une marche manifestation, qui a mal tourné. A coups de gaz lacrymogène et de matraques des policiers, nos membres se sont dispersés, et une grande partie de nos membres s’est retrouvée à la permanence nationale du parti, j’en faisais partie.

La police nous y a suivi et vers 16 heures, les policiers se sont introduits dans la permanence nationale du parti, en plus des gaz lacrymogène, ils tiraient à balles réelles sur nos membres. Le plus visé était le président du parti MSD, Monsieur Alexis SINDUHIJE.

Je me trouvais à ses côtés lorsqu’il donnait son point de vue sur les évènements.

Après cette manifestation, une chasse aux sorcières s’en est suivie et 72 de mes compagnons de lutte ont été mis à l’arrêt.

Je me suis caché, ne pouvant plus me montrer en public et commença alors une vie en cavale.

Les choses se sont vite gâtées, sous pression du gouvernement, notre nouveau bailleur a voulu également nous expulser lui aussi de la maison.

Mon épouse a essayé de résister mais sans succès. Elle et les enfants sont restés dans cette maison plus de 5 mois malgré les menaces du propriétaire.

Il utilisait des instances judiciaires pour nous chasser, les convocations intempestives contre ma personne ont commencé à tomber, le 26 et le 28 Août 2014.

J’ai conseillé à mon épouse de quitter la maison. Elle a par la suite déménagé le 15 septembre 2014 dans le quartier de KANYOSHA et avons décidé de fermer nos activités commerciales et vivre en paix, car nos activités commerciales nous exposaient. Bar Restaurant que nous tenions depuis plus de 10 ans.

Au début de l’an 2015, alors que la tension politique montait, les jeunes miliciens du parti au pouvoir, les Imbonerakure ne cessaient de semer la terreur dans le pays.

Ils volaient, voir même tuaient des personnes affiliées à des partis d’opposition à travers tout le pays.

Le quartier KANYOSHA ne faisait pas exception. Ils contrôlaient tout dans le quartier. Ils ont par exemple cherché à savoir tout sur nous, notre appartenance ethnique, notre positionnement en politique, notre travail, etc. Cela nous déstabilisait aussi car on a commencé à avoir des appels inconnus. Je passais rarement à la maison, déjà que j’étais fiché. C’était devenu également compliqué pour mon épouse HAKIZIMANA Diane qui travaillait également pour une radio privée, dite dissidente.

Elle a décidé de quitter le pays le 15/11/2014 pour protéger nos enfants. C’était très difficile. Mes enfants ont été traumatisés, ils étaient gardés par les membres de la famille. Une tante de ma femme s’en occupait.

L’annonce officielle de la candidature de Pierre NKURUNZIZA aux élections présidentielles le 24/04/2015 pour un 3ème mandat, n’a fait qu’empirer la situation.

Les gens sont descendus dans la rue. Les jeunes Imbonerakure armés, associés à certains policiers n’ont pas hésité à tirer sur les personnes à balles réelles.

Plusieurs membres des partis de l’opposition et ceux de la société civile ont été arrêtés, enlevés, torturés, voir même tués. Il y a eu également des disparitions forcées.

Après plusieurs mois de désordre et de peur, j’ai reçu un coup d’appel le 17/10/2015, d’une de mes collaboratrices au sein du parti MSD. Madame UMUGWANEZA Charlotte qui était chargée des finances puis nommée par la suite secrétaire adjoint du Parti dans la commune CIBITOKE (Bujumbura). Traumatisée et presque en larmes, elle voulait quitter son quartier devenu cible du pouvoir en raison du nombre considérable des manifestants anti 3ème mandat de NKURUNZIZA.

Elle se sentait, elle aussi menacée. Elle m’a confié qu’elle était tout le temps poursuivie par des gens inconnus. Je la comprenais totalement. Je vivais la même situation. Elle voulait que je lui donne quelques tuyaux. J’ai essayé d’utiliser mes contacts pour lui trouver une maison. Finalement elle a trouvé par elle-même et m’en a tenu au courant dans la journée.

Alors qu’elle s’apprêtait pour le déménagement, elle a été enlevée par un pick-up du SNR (Service National du Renseignement).

Paix à son âme, son corps a été retrouvé trois jours après, sur la route n°1 qui va vers BUGARAMA (Bujumbura rural), à côté d’une rivière. Cela a été très dur pour moi. Malgré que je changeais plusieurs fois de numéros de téléphone, je continuais à recevoir de nombreux appels inconnus, m’indiquant que j’étais organisateur des manifestations et que je collaborais avec des bandes rebelles.

C’est ainsi que j’ai alors décidé de quitter le pays sous un faux nom, quelques jours après l’assassinat de ma collègue Charlotte Umugwaneza.

Le 29/10/2015, j’ai organisé le voyage de mes trois enfants et nous sommes partis vivre à Kampala en Ouganda, où nous y sommes restés jusqu’au 20/01/2017.

La lutte pour une véritable démocratie au Burundi continue.

Tugire MSD,

Ukuri n’Ubuntu biturange kandi tubigendere !

Par Imvugakuri ThérenceNdayisenga


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