LES ENJEUX SOCIOÉCONOMIQUES ET POLITIQUES AU NIGERIA POUR 2020-2030

Publié le 3 février 2019 par Emmanuel Nkunzumwami

Le Nigeria est un grand pays des contrastes. Un grand pays de 923.768 km² pour une population de plus de 193 millions d’habitants.

I- L’instabilité politique après l’indépendance.

Le pays a été épargné du désert du Sahara et donc de son aridité. Indépendant depuis 1960 sous forme d’un ensemble de trois régions autonomes, le pouvoir civil du premier président Nnamdi Azikiwe s’est brutalement arrêté en 1966, avec le premier coup d’État fomenté par différents groupes militaires, qui amène au pouvoir le général Johnson Aguiyi-Ironsi, d’origine Igbo. Mais celui-ci est assassiné quelques mois plus tard, et remplacé par le général Yakubu Gowon. C’est alors que dès 1967, jonglant sur les rivalités ethniques (Igbo contre Haussa), religieuses (Chrétiens contre Musulmans) et régionales (le sud riche pétrolier contre le nord pauvre), le groupe pétrolier Elf intéressé par le pétrole de ce jeune pays et le pouvoir français (réagissant contre la protestation du pauvre Nigeria qui a osé s’opposer publiquement aux essais nucléaires français dans le désert en Algérie), allié à ses petits partenaires africains (notamment en Côte d’Ivoire et au Gabon), engagent et financent une guerre de sécession de la République du Biafra (le sud pétrolier majoritairement igbo et chrétien) dirigé par le général Chukwuemeka Odumegwu Ojukwu et le reste du Nigeria, sous la conduite du général-président Yakubu Gowon se battant pour le maintien de l’unité de tout le pays. Dans un pays en pleine décomposition par la guerre, l’ancienne puissance coloniale britannique finit par intervenir aux côtés du général Yakubu Gowon, et les deux alliés organisent un blocus terrestre et maritime contre les indépendantistes du Biafra, provoquant une terrible famine. Cette guerre dure du 6 juillet 1967 au 15 janvier 1970. Elle s’achève par la capitulation des indépendantistes, le 12 janvier 1970 et la cessation des combats le 15 janvier 1970. L’éphémère République du Biafra, la France et leurs petits alliés africains perdent la guerre, et le général Chukwuemeka O. Ojukwu est exfiltré par la France pour l’installer en Côte d’Ivoire. Le général Yakubu Gowon poursuit son pouvoir de président de la fédération du Nigeria réunifié.

Mais, en 1975, un coup d’État, sans effusion de sang, amène le général Murtala Ramat Mohammed au pouvoir. Il dirige le pays de juillet 1975 à février 1976, et promet un retour rapide à la démocratie. Mais, il est tué dans un nouveau coup d’État avorté, et il est remplacé par son second, le général Olusegun Obasanjo, de février 1976 à octobre 1979. Une nouvelle constitution est établie en 1977, et les premières élections arrivent en 1979, gagnées par Shehu Shagari. Les civils reviennent au pouvoir depuis 1966. Il effectue un mandat civil complet. Mais, il est destitué au début du second mandat par un nouveau coup d’État en 1983 de Muhamadu Buhari. Celui-ci dirige le pays de décembre 1983 à août 1985. Il replonge le pays sous la dictature du conseil militaire suprême. Il est lui-même renversé par un nouveau coup d’État militaire du général Ibrahim Babangida, qui s’impose au pouvoir d’août 1985 à août 1993, date à laquelle il est chassé du pouvoir par la pression des manifestants. Cependant, le président par intérim Ernest Shonekan est renversé par un nouveau coup d’État du général Sani Abacha, de novembre 1993 à juin 1998. Dès son arrivée au pouvoir, Sani Abacha supprime toutes les institutions démocratiques, et remplace de nombreux fonctionnaires civils par des chefs militaires. Il nomme un Conseil de gouvernement provisoire constitué essentiellement de généraux et de fonctionnaires de police. Le pays sombre dans la misère et la corruption. Le général président Sani Abacha meurt mystérieusement, le 8 juin 1998, et c’est le général Abdulsalami Abubakar, qui lui succède. Il rétablit la constitution de 1979, et s’engage alors à remettre le pouvoir en 1999 à un régime démocratiquement élu. Aussi, il tient sa promesse et organise l’élection présidentielle remportée par le général Olusegun Obasanjo en mars 1999. Il est investi le 29 mai 1999, et il est réélu le 19 avril 2003. Il termine son second mandat le 29 mai 2007. A l’issue de ce dernier mandat constitutionnel, l’élection présidentielle amène un troisième président civil depuis l’indépendance du Nigeria, Umaru Musa Yar’Adua, président de la République Fédérale du Nigeria, du 29 mai 2007 à sa mort prématurée le 5 mai 2010. Il était membre du parti politique principal au Nigeria, le PDP (People’s Democratic Party), et son élection est due à l’influence dans l’armée et les milieux des affaires de son prédécesseur Olusegun Obasanjo, qui était resté son mentor politique. Son vice-président, du même parti PDP est Jonathan Goodluck. Il est alors amené à poursuivre le mandat jusqu’à son terme, et il est lui-même élu le 16 avril 2011. Il exerce son mandat jusqu’au 29 mai 2015. Il aura donc exercé le pouvoir pendant cinq ans. Enfin, depuis le 29 mai 2015, c’est l’ancien général Muhamadu Buhari qui exerce le pouvoir après l’élection démocratique remportée le 29 mars 2015. Les généraux Olusegun Obasanjo et Muhamadu Buhari auront exercé le pouvoir après les coups d’État militaires, d’abord, puis en tant que présidents élus démocratiquement, ensuite. Aussi, depuis 1966 jusqu’en mars 2019, soit cinquante-trois ans, le Nigeria aura connu trois présidents civils élus : Shehu Shagari (1979-1983), Umaru Musa Yar’Adua (2007-2010) et Jonathan Goodluck (2010-2015). L’on peut alors dire que la nouvelle ère de la démocratie au Nigeria est due à la transition entre le général Abdulsalami Abubakar (qui a rétabli les institutions démocratiques) et le général Olusegun Obasanjo (revenu au pouvoir par l’élection présidentielle en 1999). Les pouvoirs chaotiques qui se sont succédé à la tête du Nigeria, en plus de la guerre civile de sécession, entre 1966 et 1999, n’ont pas efficacement contribué au développement économique et social de cet immense pays le plus peuplé du continent africain. Tout l’enjeu est de poursuivre une gestion démocratique, de maintenir la stabilité institutionnelle et politique, et de donner un véritable élan au développement.

II- La mauvaise gestion des revenus du pétrole

Le Nigeria est doté d’une ressource naturelle énergétique abondante qui aurait pu le transformer en un paradis de revenus pour ses habitants, depuis la découverte du pétrole dans le golfe du Bénin en 1956. Les compagnies étrangères occidentales (Shell, Exon, Total, principalement) ont largement profité de ce pétrole, et les restes ont été engloutis dans les corruptions endémiques et les détournements massifs. Les pays du Golfe, tels l’Arabie saoudite, l’Irak, le Koweït ou les Émirats Arabes Unis, ont connu les découvertes du pétrole à la même époque. Mais, le Nigeria, encore premier producteur du pétrole et sixième exportateur de l’OPEP, continue de vivre en mendicité par rapport aux autres producteurs importants, et continue de dépendre des importateurs de son pétrole brut qui ont bâti leurs économies sur l’industrie utilisant le pétrole du Nigeria et des autres pays africains. Aussi, en Afrique, les principaux concurrents du Nigeria dans les capacités de raffinerie de pétrole sont l’Égypte, l’Afrique du Sud et l’Algérie. L’Égypte raffine 675.050 barils par jour dans dix raffineries, dont la plus importante est celle de Mostorod (165.000 barils/jour). Elle se place devant le Nigeria qui ne produit que 505.000 barils/jour dans ses quatre raffineries, dont la plus importante est celle de Port Harcourt PHRC (210.000 barils/jour). On est loin des capacités d’importantes raffineries des importateurs du même brut du Nigeria. L’Afrique du Sud parvient à produire 496.500 barils/jour, mais la plus importante raffinerie est celle de Durban SAPREF produit 172.000 barils/jour. Voilà pour les trois premières économies du continent Africain. L’on comprend que la puissance économique est corrélée avec la production du pétrole en Afrique. La domination de l’énergie est une contribution majeure à la puissance économique et au développement. L’Algérie suit avec 475.500 barils/jour, mais la seule raffinerie de Skikda produit jusqu’à 323.000 barils par jour, soit 64% de la production totale du Nigeria. Mais alors, pourquoi le premier producteur du continent africain ne parvient-il pas à atteindre au moins un million de barils par jour, avec une capacité de plus de 500.000 barils par jour dans sa plus grosse installation. Les pays émergents d’Asie, ne produisant pas autant de pétrole que le Nigeria sur leurs sols, parviennent à des quantités impressionnantes, avec l’importation du pétrole africain. La Chine profite de la faiblesse du continent africain, et importe une importante part de son pétrole. Elle raffine ainsi 7.682.000 barils par jour dans ses quarante-huit raffineries, dont les plus importantes sont celles de Zhenhai (460.000 barils/jour) et de Dalian CNPC (410.000 barils/jour). L’Inde atteint 4.436.400 barils/jour dans ses vingt-et-une raffineries. C’est le premier importateur du pétrole nigérian depuis 2014. Sa plus grosse raffinerie produit 1.240.000 barils par jour à  Jamnagar, soit plus de deux fois la production totale du Nigeria. Celle de de Vadinar produit 400.000 barils par jour.  La Corée du Sud produit 3.005.000 barils par jour dans cinq raffineries, dont trois produisent chacune plus de la capacité totale du Nigeria : Ulsan (850.000 barils par jour),  Yeosu (775.000 barils par jour) et Onsan (670.000 barils par jour). Le dernier pays émergent d’Asie du groupe de l’AMACITA est l’Indonésie. Elle produit 1.050.800 barils par jour dans ses huit raffineries, dont la seule plus importante est celle de Cilacap qui produit 348.000 barils par jour, soit 70% de toute la production du Nigeria. Ces seules données sur les capacités de raffineries du pétrole du Nigeria, le premier producteur de pétrole en Afrique, en comparaison avec l’Égypte, l’Afrique du Sud et les autres pays émergents de l’Asie, importateurs du pétrole africain, donnent l’étendue du gâchis économique et le manque d’ambition du Nigeria pendant de nombreuses années. La NNPC (Nigerian National Petroleum Corporation) qui détient le monopole de la gestion et de la raffinerie du pétrole au Nigeria, a longtemps été un puits sans fond de corruptions des classes dirigeantes et des détournements divers. Les agences internationales de lutte contre les corruptions estiment que le Nigeria a perdu près de 90 milliards de dollars évaporés par les corruptions et les détournements vers les banques étrangères pendant toute la période de 1970 à 2010, soit une moyenne de 2,25 milliards de dollars évaporés par an. On sait que la construction d’une raffinerie coûte entre 40 et 50 milliards de dollars, et le Nigeria avait donc les moyens d’agrandir et multiplier ses installations pour  raffiner son pétrole. Cela conduit à considérer le Nigeria comme un corps à deux organes : la NNPC comme le cœur qui irrigue et nourrit toutes les classes politiques et l’armée du pays, et la CBN (Central Bank of Nigeria) comme le cerveau servant à accompagner les corruptions, les détournements, les escroqueries des Nigérians dans des réseaux de fausse monnaie et les évasions financières vers l’extérieur du pays. Le pétrole a longtemps constitué la principale source de revenu du pays au-delà de 80% de ses exportations, et presque autant pour alimenter le budget du pays, devenu dépendant quasi exclusivement du pétrole. Pourtant, le Nigeria est également doté d’importantes ressources minières, et il occupe encore le quatrième rang de production du cacao dans le monde (environ 10% de la production mondiale), derrière l’Indonésie (17%), le Ghana (18%) et la Côte d’Ivoire (31%), et devant le Cameroun (6%). Mais, malgré d’importantes ressources du pétrole en vue de financer le développement industriel dans le pays, le Nigeria n’a pas su développer une industrie agro-alimentaire d’une dimension régionale et internationale, à partir de ses productions agricoles, complétées par celles des autres pays africains.

III – Une structure économique fragile et des retards sur les fondations du développement

Au sein des cinquante-quatre pays du continent africain, trois pays se disputent la puissance économique : l’Afrique du Sud, le Nigeria et l’Égypte. Cependant, de ces trois pays, le Nigeria est celui qui présente une économie moins structurée et la plus fragile, car elle ne repose pas sur la diversification industrielle. Elle manque de rigueur, d’ambitions stratégiques et de gestion. De plus, comparativement aux deux concurrents, les indicateurs socio-économiques sont les plus dégradés. En Afrique Occidentale, au sein des quinze pays de la CEDEAO (Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest), le revenu par habitant est piloté par le pétrole, et porte le Nigeria au second rang derrière la Cap-Vert, devant la Côte d’Ivoire et Ghana. Il fait alors partie de sept pays sur quinze de la région, dont l’indice de développement humain (IDH) a franchi la barre de 0,5/1. Néanmoins, comparativement à l’Égypte et à l’Afrique du Sud, les trois pays en compétition pour se hisser au premier rang de l’économie africaine, hormis le pétrole, le Nigeria reste le pays le plus fragile. Le PIB en parité de pouvoir d’achat de 2017 est plus important en Égypte (1.199 Milliards de dollars) qu’au Nigeria (1.118 Milliards de dollars). Mais, ramené à l’habitant, l’Afrique du Sud prend la tête avec 13.498 dollars contre 11.583 dollars en Égypte, et seulement 5.861 dollars au Nigeria.  Le Nigérian vit donc moins bien chez lui qu’un Égyptien ou un Sud-Africain, ou même moins bien qu’un Cap-verdien. Aussi, entre les cinq pays : Cap-Vert, Nigeria, Afrique du Sud, Égypte et Côte d’Ivoire, l’espérance de vie moyenne du Nigérian (54 ans en 2015) apparaît plus faible que dans tous les autres pays comparables ou voisins. Ces données se répercutent également dans mortalité infantile : elle était de 69,4 enfants pour mille en 2015 au Nigeria, le plus fort taux de mortalité infantile parmi les cinq pays africains cités. Parmi les pays ayant un IDH supérieur ou égal à 0,5/1 en Afrique Occidentale, Le Nigeria, la Côte d’Ivoire (66,6 pour mille) et le Bénin (64,2 pour mille) accusaient une mortalité infantile supérieure à 60 pour mille. Ce qui est déjà énorme. L’Égypte (20,3 pour mille) et l’Afrique du Sud (34,4 pour mille enfants) présentent des taux de mortalité infantile de loin beaucoup plus faibles que le Nigeria concurrent. Il convient d’ajuster les politiques de sécurité alimentaire, médico-sociale, d’hygiène publique et d’environnement, ainsi que de promouvoir l’éducation afin de prévenir une mortalité infantile élevée. Le tableau ci-dessous résume des données comparatives entre le Nigeria, l’Afrique du Sud et l’Égypte, avec deux autres pays de l’Afrique Occidentale :

Il apparaît que le Nigeria présente des difficultés en comparaison avec les pays concurrents. Des indicateurs purement économiques ne rendent donc pas l’état des populations. Le produit intérieur brut nominal apparaît être élevé, en raison des exportations des hydrocarbures et du cacao bruts. Mais, les recettes ne ruissellent pas jusqu’aux infrastructures sociales de base chez l’habitant. Aussi, le taux d’alphabétisation reste très faible de 66,7% en 2015 au Nigeria, contre 73,8% en Égypte et 99,0% en Afrique du Sud. La sensibilisation des adultes des puissances publiques pour le progrès médico-social et le bien-être des populations passe par l’information, dont s’approprient plus facilement les personnes éduquées ou alphabétisées. Ce problème de niveau d’alphabétisation se retrouve également dans l’ensemble des pays de l’Afrique Occidentale : 50,8% en Côte d’Ivoire ; 57,7% au Sénégal ; 52,6% au Bénin ; ou encore 64,9% au Togo. Seul le Ghana (76,6%) passe devant l’Égypte, parmi les pays les plus avancés en Afrique Occidentale. Pourtant, en Afrique subsaharienne, de nombreux pays ont déjà franchi le seuil de 80% d’alphabétisation, car ils ont compris l’importance des connaissances de base pour l’émancipation de l’esprit et le progrès social. En Afrique australe, six pays sur treize (Maurice, Botswana, Namibie, Swaziland, Lesotho, Zimbabwe) ont déjà franchi le seuil de 80% du taux d’alphabétisation. En Afrique Orientale, trois pays ont dépassé 85% (Rwanda, Burundi, Tanzanie). En Afrique Centrale, quatre pays sur les huit de cette région ont franchi également le seuil de 80% (Congo, Gabon, Sao Tomé-et-Principe, et Guinée Équatoriale) ; alors qu’en Afrique Occidentale, seul le Cap-Vert a franchi le seuil de 80%. Cette dernière région doit alors déployer un double effort éducation de base et d’alphabétisation.

En effet, même le plus grand pays de l’Afrique Occidentale accuse encore un fort retard dans l’éducation de base : le taux de scolarisation primaire au Nigeria n’était que de 66% en 2015 (34% d’enfants n’étaient pas scolarisés), alors que ce taux était de 95,1% en Afrique du Sud et de 99,6% en Égypte. Cette situation fragilise particulièrement le Nigeria. Mais, au sein de cette région, ce taux est également faible en Côte d’Ivoire (79,3%) et au Sénégal (73,3%). La situation est nettement meilleure au Ghana (95,6%), au Bénin (96,2%) et au Togo (97,5%) par rapport au Nigeria. Dans le second cycle du second degré, le Nigeria atteint une scolarisation de 59% des enfants éligibles, contre 75% en Afrique du Sud et 72% en Égypte. Soit un important retard par rapport aux pays comparables et un handicap pour les formations professionnelles. De même, en Afrique Occidentale, seul le Ghana a franchi le seuil de 70% de la scolarisation en fin de cycle secondaire, alors que la Côte d’Ivoire reste encore à 38%, le Sénégal à 40%, le Bénin à 54% et le Togo à 64%. Toutes ces données concourent au standing de vie, et donc à son espérance. Les jeunes éduqués, munis de formation professionnelles solides, participent à la création des revenus pour eux-mêmes et pour leur pays, de façon autonome, et améliorent ainsi leur vie. Cette dernière a une espérance qui varie entre 54 ans au Nigeria à 67 ans au Ghana, en passant par 58 ans en Côte d’Ivoire, 63 ans au Togo, 64 ans au Bénin, et 65 ans au Sénégal parmi les pays les plus développés de la région. Le Nigeria connaît donc souvent de sérieux handicaps par rapport à d’autres pays de sa région, et ne peut pas en constituer le moteur dans le progrès socio-économique. Le tableau suivant résume les situations comparées dans cette région :

ADVERTISING

La conséquence immédiate, en dehors des considérations unidimensionnelles, mais qui tiennent compte autant des éléments économiques que des critères de population et d’éducation, pour mesurer le progrès social, se traduit dans l’indice de développement humain (IDH). Aussi, parmi les trois premières économies africaines, l’IDH du Nigeria est le plus bas, avec 0,53/1 en 2017. Il n’a pas évolué entre 2015 et 2017. Ceux de l’Égypte et de l’Afrique du Sud équivalent à 0,70/1. Cet indicateur montre l’important retard du Nigeria, malgré d’immenses ressources pétrolières pour financer son développement, sur ses concurrents et sur un nombre d’autres pays de l’Afrique subsaharienne. Au sein des pays avancés de l’Afrique Occidentale, le Cap-Vert (0,65) et le Ghana (0,59) arrivent bien devant le Nigeria. Ailleurs en Afrique subsaharienne, le Gabon (0,7), la Guinée Équatoriale, le Congo et Sao Tome-et-Principe (0,6), en Afrique Centrale ; le Kenya (0,6) en Afrique Orientale ; Maurice (0,8), Botswana (0,7), la Namibie, l’Angola, le Swaziland et la Zambie atteignent l’IDH de 0,6/1 ; derrière l’Afrique du Sud qui affiche 0,7/1 en 2017. Toutes ces données indiquent que le Nigeria doit réussir le progrès sur plusieurs composantes du développement économique et social pour faire évoluer le mieux-être de ses habitants.

IV- Un retard dans l’éducation primaire, la sécurité sanitaire et dans la distribution de l’électricité

Nous avons montré que les valeurs des indicateurs socio-économiques du Nigeria sont plus dégradées que celles des deux pays concurrents africains. Nous poursuivons alors l’étude comparative avec les autres pays de l’Afrique subsaharienne. Sur le chapitre de l’évolution de la distribution de l’énergie électrique entre 1990 et 2016, et de l’évolution démographique entre 1960 et 2017, nous constatons que la distribution de l’électricité au Nigeria (59,3%) arrive loin derrière le Cap-Vert (92,6%), le Ghana (79,3%), le Sénégal (64,5%) et même la Côte d’Ivoire (64,3%). Dans cette région de l’Afrique Occidentale, cinq pays n’ont pas encore atteint 25% de taux de distribution d’électricité : Sierra Leone (20,3%), Liberia (19,8%), Burkina Faso (19,2%) et Guinée-Bissau (14,7%). Or, il ne peut y avoir un développement économique et social solide, et équilibré sur l’ensemble du pays, sans l’accès à l’électricité pour tous les habitants de ce pays. En Afrique centrale, le Gabon (64,6%), la Guinée Équatoriale (58,6%), Sao Tomé-et-Principe (65,4%) et même le Cameroun (60,1%) sont mieux équipés que le Nigeria. Ailleurs en Afrique subsaharienne, Maurice (98,8%), l’Afrique du Sud (84,2%), Comores (77,8%) et le Botswana (60,7%) sont également mieux équipés pour les habitants que le Nigeria. Ce dernier doit d’autant relever le défi de l’électricité qu’il héberge la plus importante population du continent africain et qu’il a d’importantes ressources pour y parvenir, si elles sont bien gérées. Les deux tableaux suivants fournissent des informations comparatives entre le Nigeria et les pays voisins de l’Afrique Occidentale et l’Afrique Centrale sur l’évolution de la distribution de l’électricité aux habitants, entre 1990 et 2016, et la progression démographique entre 1960 et 2017.

Les tableaux I et II comparent les évolutions démographiques et de l’accès des populations à l’électricité, entre l’Afrique Occidentale et l’Afrique Centrale voisine. Le tableau I indique que la population du Nigeria a été multipliée par 4,23 entre 1960 et 2017. L’évolution démographique ne peut donc pas être évoquée pour expliquer le retard dans l’équipement électrique, comme dans les autres indicateurs socio-économiques étudiés dans ce dossier. Le Ghana (4,33 fois), le Botswana (4,37 fois), le Sénégal (4,94 fois) et la Côte d’Ivoire (6,83 fois) sont mieux équipés dans la distribution de l’électricité avec une progression démographique supérieure à celle du Nigeria. L’Afrique du Nord Arabo-musulmane, dont la baisse est due au Soudan (38,5%) et à la Mauritanie (41,7%), atteint 88% en moyenne. L’Afrique Australe est tirée vers le haut par Maurice (98,8%) et l’Afrique du Sud (84,2%) pour s’établir à 45,7%. De même, tiré par le Ghana, le Sénégal et la Côte d’Ivoire, le taux moyen de distribution d’électricité en Afrique Occidentale s’affiche à 52,6%. Néanmoins, l’Afrique Orientale (37,3%) et l’Afrique Centrale (26,7%) accusant un fort retard, contribuent fortement à baisser le niveau de l’accès à l’électricité à une modeste proportion de 42,9% en Afrique subsaharienne pour 14,1% de la population mondiale. Pendant ce temps, les pays les plus avancés relèvent le taux d’équipement à 87,4% en moyenne mondiale pour une population estimée à 7,53 milliards d’habitants en 2017. La première puissance économique africaine, que ce soit pour le Nigeria ou l’Afrique du Sud, n’atteint même pas la moyenne mondiale. L’Afrique subsaharienne, qui pèse pour plus de 14% de la population mondiale en 2018, pourrait atteindre environ 2,292 milliards d’habitants contre 12,123 milliards d’habitants dans le monde à horizon 2050, si la progression constatée entre 1960 et 2017 se poursuit, même s’il est clair que le rythme devra baisser très significativement pour s’adapter aux besoins des progrès économiques et sociaux. La proportion de l’Afrique subsaharienne serait alors de 18,9% de la population mondiale. A lui tout seul, le Nigeria pourrait atteindre 417 millions d’habitants, soit environ 3,4% de la population mondiale. Aux enjeux culturels, socioéconomiques et politiques, s’ajoute le poids démographique de ce pays et de l’Afrique.

V- Conclusion.

La population africaine a beaucoup progressé entre 1960 et 2017 pour plusieurs raisons, dont l’analphabétisme dans les familles, la misère et la pauvreté qui confinent les familles dans leurs villages, la faible urbanisation des années 1960 à 2000 en maintenant les populations dans leurs environnements culturels, la faible éducation qui n’avait pas participé à la connaissance des moyens de limitation et à l’ouverture vers le monde extérieur et ses exigences, les barrières culturelles considérant le grand nombre d’enfants uniquement comme un trésor ou une armée de main-d’œuvre ou encore une fierté des familles, et non également comme une charge et un ensemble de nouveaux devoirs et obligations socio-économiques pour l’éducation et leur prise en charge. Cette prise de conscience, qui a traversé toutes les cultures et tous les pays du monde, transcontinentalement, atteint aujourd’hui l’Afrique. La croissance démographique, variant pour une croissance annuelle moyenne depuis 1960, entre 2,3% en Afrique du Nord arabo-musulmane, à 2,5% en Afrique Australe ; 2,6% en Afrique Occidentale et 2,9% en Afrique Centrale et Orientale, va assurément baisser sous la barre de 2% au cours des années 2020 à 2050. Cette contrainte sera liée avec la recherche des meilleures conditions de vie. La moyenne des revenus annuels en parité de pouvoir d’achat varie de 2 223 dollars en Afrique Centrale à 10 672 dollars en Afrique du Nord, alors que la moyenne mondiale s’établit à 16 941 dollars. L’Afrique ne pourra alors que s’améliorer en baissant l’indice de fécondité entre 3 et 4 enfants maximum, baissant ainsi très significativement le taux de sa croissance démographique, tout en accroissant l’activité économique et industrielle indispensable au développement.  C’est dans l’ordre naturel des évolutions du monde.

L’Afrique subsaharienne a connu une croissance démographique moyenne de 2,7% alors que l’ensemble du monde n’affiche qu’une progression de 1,6% au cours de la même période. Les besoins d’électrification pour toutes les familles, d’éducation pour tous les enfants, de sécurité alimentaire, sanitaire et environnementale pour tous les habitants des campagnes et des zones urbaines ; l’obligation d’accroître l’offre des infrastructures de communications et de transport public, et surtout de résorption du chômage par les diversifications des activités pour assurer des revenus décents au maximum des jeunes générations et à leurs parents, obligeront les familles à réduire les naissances. Le Nigeria est donc concerné en première ligne, en sa qualité de première puissance démographique du continent. La croissance démographique annuelle devrait baisser sous la barre de 2%, si le pays veut assurer le progrès économique et social au plus grand nombre de ses habitants, au cours de la décennie 2020-2030. Ce pays accumule de nombreux retards que nous avons indiqués tout au long de cette étude. Il appartient à la future équipe au pouvoir, après les élections de février et mars 2019, de projeter le peuple Nigérian dans l’avenir : la paix et la sécurité publique dans tout le pays en combattant le terrorisme et toutes les formes des violences, l’éducation, l’alimentation-la santé-l’hygiène publique, les infrastructures terrestres, portuaires et aéroportuaires, l’accès à l’électricité pour 100% de son importante population, les moyens de communication, mais également des industries solidement durables de transformation des ressources du pays dans l’ensemble des Pôles Économiques Régionaux. La relance de l’économie pourra s’appuyer sur l’accroissement et le renforcement des raffineries de pétrole, des industries agroalimentaires à partir du cacao et d’immenses réserves de productions agricoles dans le pays, dans la région et même dans toute l’Afrique, et d’autres industries de transformations minières, métallurgiques et électromécaniques. Le pays dispose des ressources humaines considérables et d’immenses ressources naturelles à mettre en valeur. La future équipe au pouvoir devra présenter une ambition de transformation du Nigeria sur ces bases du développement économiques et social, au cours de la décennie 2020-2030. Les Nigérians doivent être exigeants vis-à-vis de leurs candidatsà l’élection présidentielle, et devront désormais juger leurs dirigeants aux résultats. Depuis 1999, le Nigeria a redécouvert la démocratie à travers les élections. La souveraineté internationale de ce pays doit s’accompagner d’une stabilité institutionnelle et politique pour revendiquer sa place dans le club des pays émergents. Nous venons de démontrer que la puissance économique du Nigeria, assise principalement sur les recettes des exportations des hydrocarbures bruts, est très fragile. Le Nigeria est en retard sur plusieurs indicateurs du développement. Le président français Emmanuel Macron a prononcé des paroles justes à Lagos lors de sa visite au Nigeria : les Africains doivent parler eux-mêmes de leur Afrique. Le développement solide et durable, tenant compte de réels besoins des Africains, sera pensé par les Africains eux-mêmes : ceux qui ignorent la valeur des Africains en Occident, maintenus dans les petits rôles de serviteurs des intérêts de leurs maîtres, ne peuvent pas et n’ont aucun intérêt à contribuer efficacement au développement harmonieux de l’Afrique. Les compagnies et les États occidentaux ou asiatiques s’installent en Afrique d’abord pour maximiser leurs propres profits sur les seuls marchés en croissance dans le monde. Rares sont ceux qui participent réellement au développement des pays africains. Les dirigeants et leurs représentants Africains sont choisis parmi les plus dociles et les plus contrôlables pour garantir leurs intérêts. Rares sont alors les États et les compagnies étrangères qui s’intéressent aux difficultés des Africains pour participer à leurs solutions. Business is Business first for the owners. Il appartient alors aux locomotives des pays de l’Afrique subsaharienne de se développer proprement et de tirer fortement les économies régionales : l’Éthiopie et le Kenya en Afrique Orientale ; l’Afrique du Sud et l’Angola en Afrique Australe ; la République Démocratique du Congo et le Cameroun pour l’Afrique Centrale ; et le Nigeria et le Ghana en Afrique Occidentale. Dans cette dernière région, le Nigeria connaît deux grandes formations des alliances politiques qui alternent au pouvoir, et deviennent de fait comptables du développement de ce pays : le PDP (People’s Democratic Party) et l’APC (All Progressives Congress). L’Afrique attend beaucoup des progrès économiques et sociaux du Nigeria, tant par la solidité de son économie, le rayonnement culturel, que par la lutte efficace contre les migrations des jeunes qui s’échouent en mer Méditerranée. Le temps des ingérences extérieures est révolu, comme vient de le démontrer la République Démocratique du Congo (RDC), lors de son élection présidentielle. La relance de l’Afrique est en marche. Il appartient alors désormais au peuple Nigérian d’exiger le progrès à ses dirigeants. Ce message est valable pour tous les peuples africains.

Emmanuel Nkunzumwami

Vous pouvez aussi consulter cet article au site web  http://www.nouvelle-dynamique.org


Retour