SORTIR DE L’IDENTITAIRE

Une idéologie meurtrière jalonne l’histoire postcoloniale du Burundi. Née de la colonisation, l’identitaire a été propagée au sein du peuple par une partie des élites tant Hutu que Tutsi, pour prendre ou conserver le pouvoir. Elle a déjà causé des centaines de milliers de morts dans notre pays. Aujourd’hui, démystifiée pour une large partie du peuple, l’idéologie identitaire ne tient plus que par la force des armes.

Une idéologie meurtrière

L’évocation des crises de 1965, 1972, 1988, 1993, 2015 à aujourd’hui, renvoie dans notre pays à une mémoire collective douloureuse et parfois traumatique. Des moments où des crimes inouïs ont été perpétrés contre des Burundais, tantôt par des États, tantôt par des mouvements extrémistes identitaires, sans que la justice soit rendue aux victimes. Car des centaines de milliers de Hutus et de Tutsis ont été tués au Burundi non pas pour ce qu’ils avaient fait mais pour ce qu’ils étaient, un simple hasard de naissance. Le caractère cyclique des massacres montre qu’aucune génération n’a échappé à la catastrophe depuis notre indépendance en 1962. Pourtant, aucun des régimes qui se sont succédé dans notre pays n’a eu le courage d’engager, sans parti pris, des investigations sérieuses sur les commanditaires et les exécutants des crimes de masse. Ce qui en clair veut dire que ni la justice ni un deuil digne des êtres humains n’ont jamais été organisés pour la paix des morts, des parents des victimes et des vivants tout cours. Cette banalisation de la vie par le déni de vérité et de justice infligée à des millions de Burundais a des conséquences multiformes. Cela va de la somatisation pour les rescapés à l’approche des périodes fatidiques et, pour d’autres, à l’intériorisation de l’image dévalorisante d’eux-mêmes qui fait qu’ils acceptent l’inhumanité sans réagir. Cette forme de renoncement à exiger son droit à la justice fait oublier à la victime que seule la lutte réconcilie avec soi-même, avec les disparus et libère. Il est également important de rappeler que la reproduction de la violence identitaire au Burundi est aujourd’hui l’œuvre de ceux qui en furent aussi victimes hier. Alors qu’un cadre institutionnel était prévu par l’Accord d’Arusha, pour permettre à la société burundaise d’entamer un processus réparateur par la vérité, la justice et la réconciliation, cette espérance a été anéantie par le régime du CNDD- FDD, dont une partie des dirigeants ont pourtant été victimes des violences identitaires dans le passé. Ceux qui devraient être les ennemis viscéraux de la haine de l’autre en sont devenus les vecteurs radicaux, au grand malheur du peuple.

La libération mentale

La dernière semaine du mois d’avril est hautement symbolique en événements douloureux pour le Burundi. Le 26 avril nous rappelle la répression des manifestations pacifiques contre le troisième mandat anticonstitutionnel de Nkurunziza en 2015, le 29 avril nous plonge dans le début des massacres de 1972 ainsi que l’assassinat du prince Charles Ndayizeye. Le 30 avril évoque l’attaque par les rebelles du petit séminaire de Buta qui fit quarante jeunes martyres en 1997. Rompre le cycle de la violence politique et identitaire dans notre pays est donc le meilleur hommage que nous puissions rendre à toutes les victimes de la haine de l’autre. Car y-a-t-il pire échec pour une génération que de léguer à la suivante un monde gouverné par la terreur et la pauvreté ? Mais où est donc la lumière ?

Analysons quatre raisons d’espérer. La première raison est qu’il n’y a pas de fatalité dans l’histoire. Il n’y a pas de pays où les citoyens jouissent de la sécurité physique, économique et de la liberté, sans qu’ils aient bataillé fort à un moment de leur histoire pour sortir de l’oppression d’un groupe qui avait pris en otage l’avenir de tous. Ainsi, la liberté est intimement liée à l’engagement politique. La deuxième raison d’espérer se trouve dans la prise de conscience qu’il n’y a pas pire arme de destruction massive que l’ignorance. Au lieu d’utiliser le passé douloureux comme une école de la liberté et la diversité du peuple comme une richesse, les dirigeants médiocres transforment les opportunités en obstacles. En d’autres mots de nos souffrances, nous devons savoir tirer la capacité de résilience et de résistance à toute épreuve et vivre nos différences comme de précieuses richesses. La troisième raison d’espérer se trouve dans le fait que les grands moments d’oppression révèlent des êtres humains exceptionnels, des modèles héroïques à suivre. Quand le 30 avril les assaillants ont demandé aux jeunes Hutu de Buta de se séparer des Tutsis pour que ces derniers soient tués, ils ont refusé et préféré mourir ensemble. Le message de ces jeunes fut en quelque sorte le suivant : « Messieurs les tueurs, vous devez désormais comprendre qu’au Burundi, il y a une nouvelle ethnie qui s’appelle des Barundi d’Ubuntu (humanisme) et d’Ubutwari (héroïsme), des inséparables ». Cette ethnie des Barundi d’Ubuntu et d’Ubutwari a existé à chacune des pires périodes de notre histoire. Elle constitue aujourd’hui un mouvement profond de résistance, dans différent secteurs de notre société, qui avance irréversiblement vers un Burundi libre, démocratique et sans exclusion. Enfin, contrairement aux premières générations postcoloniales, nous pouvons nous inspirer des meilleurs exemples de réussites économiques, scientifiques et technologiques dans le monde et les enrichir de notre singularité. Pour dire que désormais les armes de la liberté sont à la portée de nos mains. Nous devons juste nous en emparer, comme l’on fait d’autres peuples avant nous, pour une aube nouvelle au Burundi.

Nestor Bidadanure


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