Burundi, une indépendance en otage…

Le Burundi célèbre, ce jeudi 1er Juillet 2021, le 59ème anniversaire de son indépendance. Une situation qui est loin d’être une réalité depuis plus d’un demi-siècle. En effet, les régimes qui se sont succédés ont souvent été marqués par le souci d’une élite de régler ses comptes, en oubliant le plus important : le peuple.

« Le peuple murundi vient de faire son choix et nous n’avons pas le droit de le décevoir en exerçant le pouvoir qu’il nous a délégué pour assouvir nos rancœurs ou notre orgueil. Nous lui devons au contraire, de nous servir de ce pouvoir pour rassurer tous les hommes, augmenter le nombre de nos amis et apaiser les querelles entre Barundi », avait déclaré le prince Louis Rwagasore, au lendemain de la victoire de son parti l’Uprona aux législatives du 18 Septembre 1961. Pourtant, ces querelles, régionales et ethniques, seront attisées, à des degrés différents, par les régimes qui vont se succéder au Burundi. Ces régimes, militaires et « démocratiques », à part quelques avancées d’ordre économiques et politiques, se distingueront surtout par leur désir d’assoir leur pouvoir et d’en exclure ceux considérées, à tort ou à raison, comme des ennemis. Ce qui a entrainé les tragédies cycliques qui ont endeuillé notre pays depuis l’indépendance jusqu’aujourd’hui.

En 1993, 31 ans après l’indépendance, le Burundi a connu un regain de confiance et d’espoir avec le président Melchior Ndadaye qui incarnait une nouvelle ère, démocratique, un Burundi nouveau et des lendemains meilleurs. Mais, la boulimie du pouvoir va décapiter cette jeune démocratie, enfonçant le Burundi dans une guerre civile qui va durer 13 ans avec son lot de morts et de larmes. Cependant, en 2005, l’étincelle d’espoir va encore s’allumer avec la victoire du Cndd-Fdd aux élections, un mouvement qui avait toutes les cartes en main pour changer les choses. 16 ans après, le constat est amer.

D’espoir en désespoir

A sa venue, le Cndd-Fdd, était porteur d’espoir et de changement, surtout grâce au charisme et à la jeunesse de ses dirigeants mais aussi à ses discours, ce qui a attiré dans ses rangs, toutes ethnies confondues. Grace aux Accords d’Arusha, il ne craignait plus une armée à majorité tutsi, et il était très bien implanté dans tout le pays. Mais, le temps d’un mandat, ce parti a aussi commencé à avoir les dents longues et à s’imposer comme seul détenteur du pouvoir « jusqu’au retour du Christ ». Si ce papier se permet d’insister sur le régime du Cndd-Fdd, c’est parce que c’est le plus long au pouvoir jusqu’aujourd’hui, et que sa gouvernance ne s’améliore pas.

Le dictionnaire Larousse définit l’indépendance comme « une situation d’une collectivité dotée, sur le territoire où elle vit, d’organes non subordonnés aux organes d’une autre collectivité. L’indépendance politique s’exprime juridiquement par la souveraineté étatique interne et internationale. Cette définition, simpliste sans doute, remet en cause l’indépendance du Burundi. En effet, les Burundais sont dotés, certes, d’organes, mais ils sont subordonnés aux organes d’une petite collectivité, appelée le « Groupe des généraux. » Un noyau qui semble vouloir effacer les libertés inhérentes à une véritable indépendance. Car, cette dernière ne signifie pas seulement une souveraineté étatique et internationale. Mais aussi le droit des citoyens de jouir des libertés politiques, religieuses, d’association, bref les Droits de l’homme.

Passer du discours aux actes

Ce 59ème anniversaire coïncide, à quelques jours près, avec la première année au pouvoir de l’actuel président burundais. La paix et la sécurité étant parmi les droits fondamentaux des citoyens ans un pays indépendant, qu’en est-il aujourd’hui ?

Depuis son accession au pouvoir le 18 Juin 2020, après une élection controversée, le président Evariste Ndayishimiye ne cesse pourtant de faire des déclarations sur son ambition de changer les choses au Burundi. Selon le récent rapport de la commission d’enquête des Nations Unies sur le Burundi, en Mars dernier, « des premiers gestes symboliques et ponctuels ont bien eu lieu, mais ces derniers, tout comme les déclarations d’intention du Président Ndayishimiye, ne sauraient suffire à améliorer durablement la situation », a expliqué Doudou Diène, le Président de la Commission. Depuis son investiture, le président Evariste Ndayishimiye rivalise de déclarations à chaque occasion pour signifier sa campagne contre la corruption, l’impunité et la mauvaise gouvernance. Ainsi, par exemple, le numéro un burundais a gracié quatre journalistes arrêtés en 2019 et a gracié plus de 5 000 autres prisonniers, diminuant la surpopulation carcérale, mais en excluant les défenseurs des droits de l’homme et les opposants politiques. « Des réformes de fond sont nécessaires pour agir contre le manque d’indépendance de la justice, les procès politisés et l’absence de responsabilisation pour les abus commis depuis 2015»,  a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale chez Human Rights Watch.

Un président aux mains liées ?

« Car sans autorité forte, aucun pays ne connaît l’ordre, la paix, la tranquillité. Sans autorité forte, point de progrès. C’est aussi le triomphe de la démocratie telle que le peuple murundi la comprend et la veut, c’est-à-dire la véritable justice sociale plutôt que des formes extérieures d’une démocratie de surface », a encore ajouté le Prince Louis Rwagasore dans le même discours cité ci-haut. Malgré ses bonnes intentions, le président Ndayishimiye semble rencontrer une certaine opposition au sein du fameux « Groupe de généraux », qui lui mettraient des bâtons dans les roues et saboteraient son action pour améliorer les choses. Le05 février 2021 dernier, il a lui-même reconnu qu’il manque de collaborateurs pour l’aider dans sa tâche, certains allant même jusqu’à le menacer. Et pourtant, c’est lui-même qui a mis ces mêmes collaborateurs, des têtes dures du Cndd-Fdd, à la place qu’ils occupent. Un bras de fer dont souffre le peuple burundais.

Dans une lettre adressée à Evariste Ndayishimiye, le 18 juin, une année après son investiture, la Ligue burundaise de défense des droits de l’homme (Iteka), constate que « au moins 554 personnes ont été tuées cette année. Près de la moitié des victimes ont été retrouvées dans des rivières, lacs, caniveaux et ruisseaux, un phénomène toujours grandissant. Et au moins 53 personnes ont été enlevées et sont portées disparues ». Des exactions commises par les forces de l’ordre et jeunes Imbonerakure rattachés au parti au pouvoir selon cette ligue. Dans son dernier rapport, la commission dite « Diène »   indiqué que, chaque semaine, des corps sans vie continuent d’être retrouvés dans l’espace public et sont enterrés à la va-vite par les autorités. Et elle pointe également du doigt des agents du Service national de renseignement (SNR), parfois appuyés d’Imbonerakure. Il faut aussi noter que, depuis quelques mois, des hommes armés tendent des embuscades a des véhicules qu’ils incendient après avoir tués les occupants, Il s’ensuit toujours des arrestations des membres des partis d’opposition des membres de l’ancienne armée, à majorité d’ethnie tutsi.

Cependant, cette « démocratie de surface » dénoncée par le héros de l’indépendance du Burundi semble porter des fruits. En décembre 2020, l’ONU décidé de retirer le Burundi de l’agenda de son Conseil de sécurité et, le 31 mai 2021, l’Union africaine (UA) a retiré le Burundi de l’agenda de son Conseil Paix et sécurité, « suite aux progrès significatifs enregistrés dans la situation politique et sécuritaire au Burundi depuis le début de la crise en 2015 ». Mais le plus important pour le pouvoir de Gitega est le dégel progressif de ses relations avec l’Union Européenne. Depuis février 2021, le gouvernement burundais et les représentants de l’UE et de ses États membres ont renoué le dialogue politique, suspendu depuis 2016. Il faut noter que l’UE était le premier partenaire économique du Burundi et finançait une part importante du budget par une aide directe. Si les réformes brandies par Évariste Ndayishimiye visent à amadouer la communauté internationale, il semble gagner des points.

Faire peau neuve…

Si le président Ndaishimiye veut réellement améliorer le quotidien des Burundais, il est primordial qu’il ait les mains libres et toute l’autorité nécessaire pour accompagner ses déclarations par des actions. Et la meilleure solution pour y arriver est de faire le ménage dans son entourage et dans le parti au pouvoir, briser l’influence de ceux qui le sabotent. II devrait faire sienne cette déclaration du Prince Louis Rwagasore : « Aux voleurs, agresseurs et bandits de toute espèce, nous annonçons une répression énergique et impitoyable, un châtiment dont ils se souviendront. »

Mais pour cela, il doit reconnaitre la gravite de la situation et y remédier, en étant le président de tous les Burundais et non pas des Bagumyabanga, des Abakenyerererarugamba et autres Imbonerakure.  Car, comme le disait le Prince Louis Rwagasore, « il faut surtout que les habitants du Burundi se sentent en paix et en sécurité, que personne ne se croit menacé et que chacun ait confiance dans la protection du Gouvernement. » C’est cela la véritable indépendance, se sentir en paix et en sécurité dans son pays, sans craindre ses dirigeants, sans être obligé de fuir sa patrie pour sauver sa vie. Pour y arriver, bien que cela ne doit pas être facile, les dirigeants burundais doivent mettre le bien du peuple, du pays, au-dessus des intérêts du parti et de ses membres, comme le disait le Prince Louis Rwagasore : « A cette heure de la victoire du Parti, fût-il le mien, je ne suis pas grisé par le succès, car pour moi et mes amis, la véritable victoire ne sera atteinte qu’après l’accomplissement d’une tâche difficile mais exaltante ; un Burundi paisible, heureux et prospère. Vous nous jugerez à nos actes et votre satisfaction sera notre fierté. ».

EM


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